• Après la détermination à quitter la Wammy's House que Mello et moi avions éprouvée en apprenant la mort de L, nous passâmes tous les deux par toutes les émotions possibles, et ce en à peine vingt-quatre heures. Tout d'abord, nous commençâmes à réaliser ce qu'il était en train de nous arriver. L'après-midi, après avoir marché pendant près de deux heures, nous nous installâmes sur un mur tel deux gamins rebelles qui venaient de fuir de chez eux pour mener leur vie de squatters (comment ça, c'est exactement ce que nous étions?), et c'est là que nous commençâmes à réfléchir à tout ça.

    – J'arrive toujours pas à y croire, soufflai-je. J'arrive toujours pas à croire que Kira l'a tué.

    – Moi non plus, admit Mello. C'est tellement ridicule. C'est pas juste ! Cette enflure de Kira… J'te jure que j'aurai sa tête. Avant Near.

    Ça, c'était Mello tout craché. Quelle que soit la situation, il tenait à tout réussir avant Near. Je levai les yeux au ciel et me demandai de nouveau comment on allait s'en tirer. Comment et où on allait vivre. En voyant le regard en coin que me lançait Mello, je me rendis compte qu'il s'apprêtait à me dire qu'il ne me forçait pas à partir avec lui, qu'il pouvait très bien se débrouiller seul. Je me repris aussitôt. Je n'éprouvais pas de regrets. Ça faisait longtemps que j'avais envie de partir. Ma mère comprendrait. Mon père… Il m'avait fait le même coup quand j'étais enfant, alors s'il osait me reprocher mon départ, il devrait s'expliquer en face de moi. Les autres… Qui ? Je n'avais aucun ami, aucun proche, en dehors de la Wammy's House.

    Mon seul et unique regret dans cette histoire, c'était sans aucun doute Matt. Je préférais ne même pas l'évoquer dans la conversation. Il me manquait déjà. Et j'avais peur qu'en apprenant que Mello et moi étions partis, il n'ait une réaction extrême. Il était assez imprévisible, après tout. Et au vu de la manière dont, trois ans plus tard, nous allions le retrouver, j'avais eu raison de m'inquiéter, même si pour l'instant, je voulais me convaincre du contraire.

    Mais en dehors de lui, non, je ne regrettais pas d'avoir suivi Mello. J'avais peur, j'appréhendais, je me posais des tas de questions, mais je ne regrettais vraiment pas mon choix. À partir de maintenant, je voulais juste vivre avec lui. Je voulais juste vivre pour lui.

    Nous passâmes le reste de la journée à errer sans but dans les ruelles. Mello avait l'intention de prendre au plus vite deux billets d'avions pour Los Angeles. Deux aller simples. Nous avions largement les moyens de nous payer cela, entre l'argent que j'économisais depuis des mois et ce que Mello avait réussi à récupérer par divers moyens. Nous n'avions plus qu'à attendre de trouver un bon vol.

    – Au fait, lança-t-il tandis que j'enfilai des vêtements plus confortables, tu as un passeport avec un faux nom, rassure-moi ?

    Je fis « oui » de la tête et lui montrai mon vrai-faux passeport que j'avais obtenu à la Wammy's House. Faux nom, fausse nationalité, fausse date de naissance, le tout plus vrai que nature. Et bizarrement, j'y étais habituée.

    En fait, ça va vous sembler bizarre, mais quand j'y repense, je me suis toujours présentée sous un faux nom, et ce depuis ma naissance. Bien avant que je n'entre à la Wammy's House, déjà, personne ne connaissait mon nom complet. Comment est-ce possible, me demanderez-vous ? Eh bien en fait, en me présentant sous le nom de Elena Asher, je n'ai pas été tout à fait transparente avec vous. Certes, il s'agit effectivement de mon véritable nom, mais il ne suffirait pas à me tuer s'il venait à être noté dans un Death Note. Pourquoi ? Tout simplement parce que mon prénom complet, tel qu'il figurait sur mon acte de naissance, est Elena des Roses, avec l'accent français s'il vous plaît. Petit pétage de plomb de la part de ma mère, mais bon à l'époque de Harry Potter, Fleur Delacour et toutes ces merdes, j'aurais pu tomber sur bien pire. Quoi qu'il en soit, j'avais toujours trouvé ce nom terriblement prétentieux, et puisqu'il ne reflétait pas vraiment celle que j'étais ni celle que je voulais devenir, j'avais toujours fait croire à tout le monde que mon nom était simplement Elena, ce qui était toujours plus simple à porter.

    Quoique, avec tous les connards qui me foutaient systématiquement un H, hein, c'était pas si facile que ça à porter.

    En tous cas, me présenter sous un faux nom était pour moi comme une seconde nature. Déjà que même quand j'étais petite, j'aimais bien m'imaginer d'autres noms, un autre background… Ma foi, maintenant, je pouvais mettre mon imagination de gamine en pratique, même si ce n'était pas le genre de situation que j'avais prévu quand j'avais dix ans, pour tout vous révéler. Quand j'étais enfant, je rêvais plutôt de trucs dans le style « J'irai dans l'espace, et je me présenterai sous un nom un peu plus badass que Elena demoncul Asher », ou même, je me disais que je pourrais toujours mentir sur mon CV pour la CIA et dire que Elena n'était pas mon vrai nom. Si j'avais su que ça me sauverait la vie dans le futur…

    Mello croqua dans sa tablette de chocolat et déclara qu'il allait acheter nos billets, puisque nous ne courions plus aucun risque par rapport à nos passeports. Je l'attendis patiemment, regardant ce que j'avais emporté dans mon sac. J'avais avant toutes choses de l'argent, assez pour vivre quelques temps sans trop de soucis, à condition de ne pas tout dépenser n'importe comment. Ce qui, soyons honnêtes deux secondes, entre Mello et moi, allait être compliqué. Mais bon, je faisais confiance à Mello pour trouver une solution. J'avais également de la nourriture, quelques vêtements de rechange, et aussi, ne me demandez pas où je m'étais procuré ça, un couteau relativement bien aiguisé. Bah, comme dirait Han Solo, ça valait pas un bon vieux pisto-laser, euh pardon, un bon vieux flingue, mais je me sentais déjà assez tranquille en me disant que si quelqu'un nous agressait, je pouvais le neutraliser. C'est pas Mello qui m'en aurait voulu pour ça.

    – ET MERDE ! m'exclamai-je soudain en tâtant le fond de mon sac. MAIS OU EST-CE QU'ELLES SONT, CES…

    Je venais juste de me rendre compte que dans mon empressement de quitter la Wammy's House, j'avais complètement oublié de récupérer les deux photos que Mello, Matt et moi avions prises quelques mois auparavant. Bordel… Ces photos étaient les seules qui existaient de nous trois. Si quelqu'un venait à se les procurer, cette personne pourrait s'en servir pour nous tuer grâce au carnet de la mort… On était dans la merde, si c'était le cas.

    Je pris quelques secondes pour finir par me dire que dans le meilleur des cas, les photos se retrouveraient dans les mains de Matt, qui tel que je le connaissais, aurait défendu ces images aux prix de sa vie. Les autres membres du pensionnat n'avaient aucune hostilité à mon égard ni à celui de Matt. Je craignais un peu pour la photographie de Mello, en revanche, car celui-ci n'était pas vraiment le bienvenu à la Wammy, du point de vue des gosses. Il suffisait de voir le nombre de fois où s'était retrouvé seul tandis que tous les autres mangeaient, jouaient ou discutaient entre eux. Raison de plus pour avoir quitté ces crétins qui partaient du principe que puisque Mello était « bizarre » et que Near était « meilleur que lui », c'était pas la peine de l'approcher. Vraiment, j'adresse à ces gens-là le « clic gauche de ma souris », pour paraphraser Mathieu Sommet.

    Soudain, je repensai à Near. S'il venait à trouver les photos, que ferait-il ? Il avait toujours été assez ouvert à Mello, mais je ne connaissais pas très bien le petit, et je ne pouvais m'empêcher de craindre qu'il ne décide de nous vendre à quelqu'un si nous venions à mettre des bâtons dans les roues de ses plans. Enfin, que ce soit bien clair. Je ne me méfiais pas de Near. Seulement, j'ignorais de quoi il était capable, et mon expérience personnelle m'avait appris à toujours imaginer le pire venant de n'importe quelle personne.

    Lorsque Mello revint, quelques temps plus tard, je ne fis aucune mention des photos, et dieu merci, il ne semblait pas se préoccuper de cela pour l'instant. Il m'apprit que nous décollerions pour Los Angeles le lendemain après-midi, ce qui signifiait que nous allions devoir trouver un endroit où dormir cette nuit.

    – T'as déjà fait du camping sans tente ni sac de couchage ? demandai-je innocemment.

    – Nan, mais j'ai toujours voulu tester, répondit-il d'un ton neutre. …Bon, d'façon on n'a pas trop le choix. Je m'imagine pas coucher dans ce bordel, continua-t-il en jetant un coup d’œil à la ruelle pourrie dans laquelle nous nous trouvions. Va juste falloir qu'on se trouve un coin où personne ne viendra nous faire chier.

    – Pour ça, je connais un endroit. C'est pas trop loin d'ici – une heure de marche si on va vite, et j'y suis déjà allée une fois où deux avec mon père quand j'étais petite. C'est très peu fréquenté. À cette période de l'année… On va se les geler, mais je suis sûre à 98% qu'il n'y aura personne… Pourquoi tu me regardes comme ça ?

    – Tes histoires de pourcentage… Tu me rappelles L, en fait.

    – Je… Désolée, Mello.

    – C'est rien. C'est en toi, c'est tout. Tu lui ressembles. J'vais pas te demander d'arrêter d'être toi juste parce que tu me fais penser à L et que j'ai toujours pas accepté qu'il est… BORDEL !

    En criant, il frappa un mur environnant, qui se craquela très légèrement. D'un geste qui était devenu naturel pour moi, je le pris dans mes bras pour essayer de le rassurer et caressai ses cheveux dorés. « Ça va s'arranger, t'inquiète. Kira nous le paiera. » Mais au fond, j'étais comme lui. J'étais encore complètement dévastée, même si je voulais essayer d'avoir l'air forte. En fait, la seule chose qui m'empêchait de chialer, c'était le fait que je m'étais soûlée au Jack Daniel's quelques minutes auparavant. Ça avait séché mes larmes, au moins.

    Mais il suffisait que je repense à L pour que je ressente de nouveau un goût amer au fond de ma gorge, et pour que je réalise une fois de plus tout ce que j'avais abandonné. Ma famille, mon meilleur ami, mon avenir…

    Oublie.

    Ne regrette rien.

    Ça va aller.

    J'aurais bien voulu pouvoir remonter le temps, à l'époque où les choses allaient encore bien. L'époque où L était en vie, où j'avais encore des rêves et des espoirs à accomplir, où Mello était un tant soit peu heureux, où le soleil semblait encore briller dans le ciel. Maintenant, Mello et moi n'étions qu'une accumulation de stress, de colère et de peur. Les deux enfants de la rage et de l'amour, lâchés dans le monde de paraître qui ne croit pas en eux. Les deux gosses qui commencent à se rendre compte de ce qu'ils ont perdu en une journée. Tout ça à cause de Kira.

    Ne regrette pas.

    De toutes façons, ce qui est fait est fait. Et maintenant que Mello et moi étions lâchés dans ce grand terrain de jeu qu'était le monde réel, eh bien on n'avait plus qu'à jouer avec les cartes que nous avions. Très vite, nous décidâmes de voir cette histoire comme une partie de jeu vidéo : ce serait à celui qui le premier vaincrait Kira, le boss final.

    Quand on ne gagne pas un jeu, on n'est rien d'autre qu'un perdant, hein ? Cette fois, Near, tu seras le perdant.

    – Mello…

    – C'est tout ce qui me raccroche à la vie, maintenant. Je veux le battre. Je veux la peau de Kira avant lui. Je tuerai tous ceux qui m'en empêcheront. Juste une fois dans ma vie, je serai le premier.

    Je le regardai dans les yeux un petit instant, puis suggérai de partir immédiatement si nous voulions arriver avant que la nuit ne soit tombée. Il accepta aussitôt, et donc nous partîmes vers une petite forêt qui avait pour avantage d'être reculée sans présenter de réel danger autre que celui de se ramasser des noisettes dans la gueule si les écureuils étaient de mauvais poil.

    Sur la route, nous parlâmes peu. À mi-chemin, Mello activa son MP3, et Stressed Out des Twenty One Pilots se mit alors à résonner. Au bout d'un moment, nous finîmes par oublier un peu toute la merde que nous avions du supporter ce matin-là et à nous détendre un minimum. Une tablette de chocolat pour lui, un paquet de chips pour moi, et nous allions déjà mieux. De temps en temps, Mello fredonnait à voix basse quelques refrains de Nirvana ou de Green Day, et je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'il avait une jolie voix, en plus d'avoir bon goût.

    Franchement, quitte à m'exiler volontairement avec un ado de mon âge, j'étais tombé sur la perle rare. Mello et moi avions les mêmes goûts sur un tas de sujets, avions à peu près la même vision du monde (même si j'étais moins nihiliste et violente que lui), et tout simplement, nous nous entendions bien, et je faisais de mon mieux pour veiller à ne jamais être un poids pour lui. Je tenais à me rendre utile à ses yeux. Je tenais à l'aider plus qu'à toute autre chose sur Terre.

    En dépit de tout, je l'aimais un peu plus à chaque instant.

    Lorsque nous arrivâmes dans la forêt, nous nous écroulâmes sur le sol et reprîmes notre souffle pendant près d'une minute. La nuit avait commencé de tomber, et nous étions tous les deux épuisés. Nous nous couchâmes presque aussitôt à même le sol, et Mello s'endormit au bout de quelques minutes à peine. Quant à moi, je restai longuement éveillée. Il m'avait toujours fallu plusieurs heures avant de réussir à m'endormir, et même si la journée avait été incroyablement dure pour nous, voire limite insupportable, je n'avais pas du tout sommeil. Tandis que Mello dormait profondément, je remarquais qu'il tremblotait. Tu m'étonnes, au vu de la petite chemise en jean qu'il portait sur lui, il devait mourir de froid. Je sortis de mon sac un manteau noir avec une capuche en fourrure, et le posai sur lui histoire de le réchauffer un peu. Puis je me couchai à ses côtés et fermait les yeux, bercée par les accords de Welcome to the Black Parade.

    À mon réveil le lendemain matin, Mello et moi étions plus proches que dans mes souvenirs, et nous nous tenions la main. Je le lâchai d'un air gêné et le regardai. Quand il était endormi, il avait l'air tellement innocent, c'était difficile de s'imaginer son véritable caractère en le voyant ainsi. Il avait l'air épuisé, alors je décidai de lui accorder encore une heure de sommeil. Pendant ce temps, je me contentai de le regarder, de manger et de traîner dans les alentours. En attendant notre départ imminent pour les États-Unis, je n'avais pas grand-chose à faire. En revanche, une fois que nous serions là-bas, tout serait différent. Cependant, je n'appréhendais plus. J'étais impatiente de découvrir ce que tout cela nous réservait. La nuit semblait avoir effacé tous mes doutes.

    À nous deux, nous allions arrêter Kira. Nous en étions sûrement capables. Mello avait l'intelligence, la logique, le courage et l'impulsivité, et j'avais le tact, les capacités d'analyse et linguistiques et cet espèce de talent avec les gens que Matt m'avait souvent fait remarquer. À nous deux… Nous n'étions sûrement pas une équipe parfaite, mais nous avions nos chances. Ça valait le coup de tenter.

    – Hmm… Ça fait longtemps que t'es réveillée ? demanda soudain Mello, enfin réveillé.

    – Un peu plus d'une heure, répondis-je. J'avais pas envie de te réveiller. T'avais l'air tellement bien, pour une fois.

    – …Merci. Et pour la veste aussi. Quelle heure il est ?

    – Presque dix heures du matin. On a encore du temps pour nous préparer. Ah, et pour la veste, tu peux la garder, elle te va mieux qu'à moi.

    Un petit sourire en coin plus tard et c'était reparti pour un coup, voilà je craquais encore plus pour lui. Il se leva et attrapa une tablette de chocolat dans laquelle il croqua avec avidité. Il me regarda une demi-seconde et me demanda si je me sentais prête pour les États-Unis. J'acquiesçai. Je m'étais préparée toute la nuit, et à présent, je mourrais d'envie d'y aller. Je n'avais plus l'intention de me retourner ou de faire marche arrière. Ma vie, mon destin… Maintenant, je voulais le consacrer à l'arrestation de Kira par mes propres méthodes, et donc par celles de Mello, plutôt que par celles de la CIA ou je ne sais qui d'autre. Je m'étirai, enfilai un sweat à capuche que j'enfonçai sur ma tête pour ne pas être vue, et quelques minutes plus tard, nous nous mîmes en route. Il nous faudrait bien plus d'une heure et demie de marche pour arriver à l'aéroport, alors autant ne pas perdre de temps. J'ouvris un paquet de Pringle's, Mello croqua dans sa tablette de chocolat, et nous étions repartis sur notre route. Nous ignorons où elle allait nous mener, mais bon, à force, nous avions fini par nous y sentir chez nous. Marcher seuls, tous les deux, sur ces routes isolées, ça allait bientôt devenir notre quotidien, et nous le savions parfaitement.

    Je n'avais jamais pris l'avion auparavant. Enfin, si, une fois, quand j'étais petite, mais je n'en n'avais gardé presque aucun souvenir. Et puis, je n'étais pas partie sans surveillance adulte, la dernière fois. Cette fois-ci, Mello et moi étions livrés à nous-même. Cependant, Mello se montra à la hauteur. Après que nous eûmes présenté nos faux passeports, qui me faisaient passer pour une fille de 19 ans – avec mon maquillage, c'était tout à fait crédible – et lui pour un ado de 17 ans, ce qui était tout à fait crédible aussi, nous signâmes les papiers qu'on nous donnait, et quelques minutes plus tard, nous étions prêts à décoller. Pour éviter d'attirer l'attention sur nos possibles discussions, nous nous rendîmes tout au fond de l'avion pour pouvoir parler en paix. Nous n'avions que faire d'être surclassés, après tout. Pour nous, il s'agissait de ne pas nous faire remarquer, point barre.

    Une fois assise dans l'avion, j'enfonçai davantage ma capuche sur ma tête, et Mello réajusta ses lunettes de soleil. Un peu avant que l'avion ne décolle, j'étais assez anxieuse, et mon premier réflexe, pour le moins stupide, fut de serrer la main de Mello contre la mienne. Celui-ci me jeta un petit regard en coin que j'arrivais à percevoir malgré ses lunettes noires, mais je n'y prêtais pas attention.

    – C'est rien, relax. Je flippe un peu en avion, c'est tout, expliquai-je.

    – Ah… Je vois.

    Il leva les yeux au ciel, et nous attendîmes tranquillement le décollage de l'appareil. Quelques temps plus tard, lorsque l'avion commença à s'avancer et à s'élever, je serrai davantage la main de Mello. Lui aussi me serrait, maintenant. Alumina de Nightmare s'échappait à mi-voix de son MP3. Je lançai à Mello un regard signifiant quelque chose du style « Tout va bien se passer. » Même si c'est plutôt le genre de choses qu'on dit lorsqu'on a vraiment peur de quelque chose, et qu'en général, celui qui dit ça se fait tirer dessus dans les deux secondes qui suivent, comme dirait Matt.

    Matt… Ne pas penser à lui, ne pas penser à lui. Il me manquait horriblement, mais je ne voulais pas parler de lui à Mello, ni même me rappeler que maintenant, il était seul, loin de nous. Pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher de m'inquiéter pour lui. Est-ce qu'il avait appris la mort de L par tel ou tel moyen ? Il avait forcément remarqué notre absence, à Mello et moi. Est-ce que Roger lui avait expliqué clairement les choses ? Est-ce qu'il aurait la force de le supporter ? Matt était mon meilleur ami, je le connaissais mieux que personne. Souvent, il se montrait assez naïf. Souvent, il faisait remarquer qu'en dehors de Mello et moi, il n'avait personne. Comment avait-il réagi en apprenant notre départ ? Pendant trois ans, cette question hanta la plupart de nos nuits, et nous empêcha de dormir.

    Mello ne se détendit que lorsque l'avion eut complètement décollé et fut enfin lancé sur sa trajectoire vers Los Angeles, lieu dans lequel nous serions établis pendant le plus gros de nos cinq prochaines années. Je choisis ce moment pour lui demander s'il avait un plan.

    – Un plan ? murmura-t-il. Je veux infiltrer la mafia, puis monter en grade. Si les choses se passent comme je le prévois, dans quatre ans, je serai le leader de la mafia la plus crainte des États-Unis… Enfin, pour l'instant, on va juste rentrer dans un gang en temps que simple membres, puis ensuite… Tu verras.

    Le pire, c'est que tout se passa selon ses plans, alors qu'au début, je doutais vraiment de son plan.

    Enfin non, au début, je crus qu'il se fichait de moi, ou qu'il était devenu fou. Nous, deux gamins d'à peine quinze ans, nous intégrer dans une mafia ? J'avais du mal à l'imaginer. Pourtant, Mello semblait avoir tout prévu, et savoir exactement comment il allait parvenir à ses fins.

    – Bon, je te suis. Mais j'espère que tu sais ce que tu fais.

    – T'inquiètes pas pour ça. J'ai tout prévu, et je sais comment on va s'en sortir. …Me regarde pas comme ça, je suis très sérieux.

    Je levai les yeux au ciel et pouffai de rire, mais Mello préféra ne pas y prêter attention. D'après lui, je n'y connaissais rien, j'étais une petite fille stupide, incapable de voir à quel point il était intelligent et courageux pour vouloir se lancer dans la mafia. Enfin, je suppose. Au fond, je le trouvais adorable, mais quand-même cette histoire de mafia, ça ne me rassurait vraiment pas.

    Pour tout vous dire, j'avais effectivement été stupide sur ce coup-là, et j'avais beaucoup sous-estimé Mello. Il se montra bien plus débrouillard et charismatique que prévu face aux autres mafieux, et au bout de quelques mois, il sut déjà se faire respecter. Mello savait se donner les moyens d'accomplir ce qu'il voulait faire. Il était doué d'une prestance incroyable, et souvent, on le trouvait assez effrayant, surtout lorsqu'il s'énervait.

    Pendant le reste du voyage, nous discutâmes de tout et de rien. Nous partagions nos écouteurs tandis que l'album Blurryface s'écoulait. Je commençais à me demander si mes parents avaient compris que ma lettre était bourrée de mensonges. De toute manière, même dans le pire des cas, maintenant que toute trace de moi avait été effacée, depuis le jour où j'étais entrée à la Wammy's House, ils ne pouvaient pas lancer de recherches pour me retrouver, et ce pour ma propre sécurité. J'imaginais qu'ils devaient s'inquiéter pour moi, mais bon. Je ne voulais pas faire demi-tour. Je voulais rester avec Mello. Poursuivre et arrêter Kira. Je ne vivais plus que pour ça.

    Et puis, ils savaient que j'étais grande, que j'étais assez forte pour me débrouiller. Avec mon entraînement quasi-militaire, j'étais capable de me battre.

    Alors, j'espérais qu'ils comprendraient, et qu'ils ne m'en voudraient pas.

    Je ne leur avais évidemment pas parlé de Mello. S'ils l'avaient rencontré, voire même, s'ils avaient entendu parler de lui… Ils l'auraient poursuivi à travers le monde entier. Ils auraient voulu le tuer. Parce que, tel que je le connaissais, mon père aurait cru qu'il m'avait kidnappée, ou va savoir quelle merde. Haha, comme si mon Mello aurait été capable de ça…

    Oui, bon, je retire ce que j'ai dit.

    Mais il n'empêche. Mello m'appréciait. En cinq ans, au cours desquels certaines périodes avaient été horriblement dures pour lui, il ne m'avait jamais fait de mal. Et ce, même lorsque je lui assurais qu'il pouvait passer ses nerfs sur moi. Même lorsque je lui disais de se défouler, il le faisait sur tout et n'importe quoi, mais pas sur moi. Et pourtant, caractériel comme il était, il aurait pu le faire. Mais non. Sous ses airs, Mello était quelqu'un de bien. Et il méritait d'être heureux. Et pour qu'il le soit, j'étais prête à tout.

    Quelques heures plus tard, j'étais à moitié endormie sur l'épaule de Mello, tandis que celui-ci jouait à un jeu vidéo. Ça me faisait bizarre de le voir faire ces gestes qu'au fil du temps, j'avais identifiés comme étant ceux de Matt, mais je me fis très rapidement au fait que Mello aussi aimait jouer. Je souris et refermai mes yeux tandis qu'il affrontait le boss d'un jeu que je ne connaissais pas.

    – Dors un peu, je te réveillerai quand on aura atterri, souffla-t-il.

    – Et toi, tu veux pas te reposer ?

    – Ça va, merci. J'ai dormi toute la nuit, contrairement à toi.

    – Haha, je vois que tu m'as démasquée. En fait, je suis incapable de dormir la nuit. Je sais pas d'où ça me vient. Ma mère prétend que c'est parce que je suis une ado, mais bon. Je dors pas beaucoup, de toutes façons.

    – Alors c'étaient bien des cernes et pas de l'eyeliner ? lança Mello en retenant un petit rire. J'en étais sûr. Si on recroise Matt un jour, fais-moi penser qu'il me doit dix dollars.

    Je lui donnai un petit coup de coude et j'eus un sourire nostalgique. Putain, il fallait vraiment que j'arrête de penser à Matt, ça commençait à me rendre malade. J'ouvris à moitié les yeux, et au vu de l'expression qu'affichait Mello, il était dans le même cas que moi. Nous nous sentions tous les deux très mal vis-à-vis de lui.

    – Mello ? Ça va aller ?

    – Très bien, ouais. T'inquiète pas pour moi.

    Il disait ça, mais il paraissait assez stressé. C'est dans des moments comme ça que j'aurais voulu être capable de lire dans ses pensées, histoire de savoir ce qu'il se passait dans sa tête. Mello Tu m'intrigues tellement… Je me demande si un jour, tu t'ouvriras enfin à moi. Moi en tous cas, je ne t'abandonnerai jamais.

    Quelques temps plus tard, je m'assoupis sur l'épaule de Mello en attendant d'enfin atterrir. En fait, j'avais largement eu le temps de me reposer, étant donné que le voyage dura encore quelques heures.

    Lorsque nous arrivâmes à l'aéroport de Los Angeles, Mello et moi étions en pleine forme. Nous récupérâmes nos bagages et partîmes aussi vite que possible. Maintenant, notre véritable aventure allait commencer.

    – Bon, j'te laisse imaginer que j'ai pas prévu un hôtel cinq étoiles pour nos premières nuits, mais je me suis renseigné sur des coins où on devrait être à peu près tranquilles, déclara Mello pendant que nous changions de vêtements dans un coin au calme. On ne va pas rester dans la partie « grande ville » de Los Angeles, alors si tu voulais faire un tour à Hollywood Boulevard… Bah, j'suis désolé, mais tu devrais le faire sans moi, en tous cas. Ou alors, ce sera pas tout de suite. Mais ça à la limite on s'en fout. Ce qui compte, c'est que j'ai trouvé une planque dans laquelle personne ne loge, et on devra probablement la squatter pendant quelques jours. En ce qui concerne notre introduction dans la mafia, je te demanderai de me laisser faire. Dans un ou deux jours, je partirai probablement le temps de moins d'une semaine, alors ne t'en fais pas. Je te tiendrai au courant grâce à ça. (Il me tendit un téléphone portable.) Nos numéros seront masqués en permanence, et surtout, ils sont intraçables. Ces portables sont de vrais petits bijoux que j'avais chopés dans le bureau de Watari l'an dernier. J'étais sûr que tôt ou tard, je m'en servirai. Bref. Pendant ce temps, je te demanderai de rester cachée. Ne te fais pas remarquer, et ne fais rien d'inconsidéré, et tout se passera bien. Lorsque je reviendrai, j'aurai été accepté dans le gang, et j'aurai veillé à ce que tu le sois toi aussi. Je pense que tu sauras te débrouiller, mais pour l'instant, laisse-moi faire.

    – Mello, t'es sûr que ça va ? l'interrogeai-je. Tu parles beaucoup, tu transpires…

    – JE VAIS BIEN ! …T'inquiète, ça va. Merci… Bon, pour l'instant, suis-moi, on n'y est pas encore.

    Mello me conduisit alors vers l'endroit qu'il avait repéré. Il s'agissait d'une sorte de HLM abandonné depuis visiblement des années, dans lequel, dieu merci, personne n'avait décidé de squatter avant nous. L'endroit était assez sordide, mais pour quelques jours, ça suffirait largement. Je regardai autour de moi d'un air déterminé.

    – Tu sais quoi ? J'aime beaucoup. Probablement parce que j'ai regardé trop de films, mais… Vraiment, je pense que ça va être plutôt sympa, de loger ici.

    – Tu m'as l'air assez enthousiaste, fit remarquer Mello. Bon, tant mieux, manquerait plus que tu commences à faire ta chochotte ou à vouloir récurer le sol façon Blanche-Neige. On ne doit surtout pas se faire remarquer, donc va falloir qu'on laisse tout dans cet état.

    – Alors heureusement que je suis pas une accro du ménage, dis-je en haussant les épaules. Et dis-moi, quand tu auras rejoint la mafia, on logera encore ici ?

    – Probablement pas. À partir du moment où on sera intégrés, on se retrouvera dans leur planque. Dis-toi qu'on restera pas ici plus d'une semaine, grand maximum. Ça te va ?

    – Absolument. …Dommage que je sois pas là en simple voyage et que j'ai pas pris mes Pullips, j'aurais fait les plus belles photos urbex de l'histoire.

    Je retins un rire tout en disant cela. Mello, quant à lui, s'assit à même le sol. Je lui suggérai de dormir un peu. Si, comme il l'avait prévu, il devait partir plusieurs jours pour faire je ne sais quoi afin de convaincre des mafieux de le prendre dans leur gang, il se devait d'être en pleine forme. Et moi, puisque j'avais dormi quelques heures, j'étais prête à surveiller les alentours. Mello ne se fit pas prier.

    Le lendemain matin, il était déjà décidé à partir. Selon lui, il valait mieux ne pas perdre de temps, car une fois que nous aurions intégré la mafia, nous serions bien plus libres de nos mouvements. Je lui préparai quelques rations de survie sous la forme de tablettes de chocolat de diverses marques, ainsi que quelques vêtements de rechange. En fait, pour tous vous dire, j'aurais préféré pouvoir l'accompagner. En restant là, comme ça, j'avais l'impression d'agir plus comme une mère que comme une amie, et je haïssais ce rôle. Cependant, Mello n'avait rien voulu entendre, et continuait de m'ordonner de rester cachée le plus souvent possible. D'après ses consignes, si je sortais dans les rues de Los Angeles, je devais porter des lunettes, une perruque et des vêtements larges peu reconnaissables.

    Et j'obéis. Le plus souvent, je restai enfermée dans notre planque à jouer à des jeux vidéo toute la journée. Les seules fois où je sortis, ce n'était que pour une petite promenade « de santé », aurait dit ma grand-mère, et j'avais suivi les consignes de Mello. Le premier jour, me m'inquiétai énormément pour celui-ci, mais d'après les messages qu'il m'envoyait via son téléphone, tout se passait comme il l'avait prévu. Il revenait le soir, vers une heure du matin, et même s'il ne disait pas grand-chose, il semblait aller bien, en dehors de sa fatigue. Au bout de trois jours, j'étais convaincue qu'il ne lui arriverait rien de mal.

    Lorsqu'il arriva le quatrième jour, c'était encore l'après-midi. J'étais en train de jouer à Mario, comme si de rie n'était, quand la porte s'ouvrit sur Mello, qui paraissait au mieux de sa forme, et rempli de DÉTERMINATION, comme dirait Toby Fox. « Fais tes valises, on déménage », lança-t-il d'un ton égal, mais son visage trahissait sa fierté. Mes bagages furent prêts en moins de deux minutes. Aussitôt, Mello et moi fûmes prêts à partir.

    Sur notre trajet, je lui posai de nombreuses questions. Comment il s'en était tiré, comment ça s'était passé, ce qu'il avait dû faire, où nous allions loger… Mello fut très vague dans ses explications, alors j'essayais de recoller les morceaux de ce qu'il me racontait. Ses capacités intellectuelles l'avaient beaucoup aidé dans cette histoire, apparemment. Ça, et toujours, sa prestance hors-norme, et le fait qu'il savait se faire respecter. Ou plutôt craindre, je l'admets. Mais bon, aucune importance. En tous cas, il n'avait apparemment pas été obligé d'en arriver à tuer qui que ce soit, ce qui était déjà un coup de chance. Parce que certes, j'étais prête à le suivre quoi qu'il fasse, mais je n'avais surtout pas envie qu'il doive se salir les mains, du moment qu'il pouvait l'éviter, même si lui semblait s'en foutre totalement.

    J'étais acceptée dans la mafia, mais malgré cela, je ne me montrais pas très coopérative. En dehors des fois où Mello me demandait de faire quelque chose pour lui, le plus souvent, j'étais inactive. En général, j'étais seule, dans un coin de la pièce, à jouer à un jeu vidéo sans me faire remarquer. Les seules fois où je sortais de notre planque, c'était sous les ordres de Mello, ou bien lorsque lui-même sortait. Je haïssais les autres membres de la mafia. Je n'avais aucunement confiance en eux. Je préférais largement rester avec Mello 24 heures sur 24. Ce que je fis. En fait, je dois reconnaître que pendant trois ans, il ne m'arriva rien de très palpitant, en dehors de trois ou quatre fois où je dus tout de même infiltrer des gangs sous couverture, voire me mêler à une scène d'action et porter un flingue. Moi qui détestais me servir d'armes à feu, c'était bien ma veine, mais bon bref. En tous cas, en général, je me contentais de rester seule dans mon coin, ou à aider Mello à élaborer des stratégies, mais je sortais rarement le nez dehors. Pendant trois ans et demie, en fait, Mello et moi ne fîmes que gravir les échelons, rentrant dans des gangs mafieux de plus en plus importants, jusqu'à ce qu'enfin, Mello ne prenne la tête de la mafia américaine la plus importante.

    Cependant, bien qu'il ne s'agisse pas de scènes épiques et haletantes dans laquelle nous risquâmes sans cesse nos vies – le destin nous avait réservé ça pour Kira –, je pense qu'il serait stupide de faire immédiatement une ellipse de cinq ans. Je ne suis pas celle dont la vie a été la plus palpitante pendant ces cinq années, mais si vous êtes là, après tout, c'est pour connaître mon histoire et aussi, à travers mes yeux, celle de Mello. C'est un peu pour ça que je suis là. Et même si à l'époque, il n'était pas très causant avec moi quant à ses aventures, je pourrais au moins vous raconter ce que Mello et moi avions vécu ensemble, que ce soit notre début de romance, nos quelques galères dans des missions d'infiltration, nos retrouvailles avec de vieux amis… Enfin, ne mélangeons pas tout, et reprenons si vous le voulez bien par le jour du 13 décembre 2017, parce qu'après tout, c'est là que Mello et moi nous sommes le plus rapprochés.

    Ce jour-là, nous étions seuls, tous les deux, dans la chambre de Mello. Celui-ci avait envoyé les autres mafieux dans diverses missions. Ouais, en si peu de temps, il avait déjà réussi à se faire une sacrée réputation, ce qui au final ne me surprenait pas tant que ça. Cependant, la situation actuelle ne lui convenait pas. Selon Mello, ces gars-là n'étaient pas assez puissants et respectés pour qu'il ait le pouvoir nécessaire pour arriver à ses fins. Il ne passait par eux que pour se faire déjà un petit nom aux États-Unis. Mais quand viendrait le jour de les lâcher, non seulement il le ferait sans hésiter, mais de plus, il n'aurait aucune rancœur à les tuer, ces mecs connaissant son visage.

    Ouais, je sais ce que vous devez vous dire. Ce mec est un psychopathe prêt à tout pour ne pas risquer de se faire tuer par Kira-- Oh, je viens de démonter votre théorie du complot comme quoi Mello est un malade et moi une masochiste entièrement dévouée à lui juste parce que « omg il est beau ». Mettez-vous bien dans la tête que nous voulions stopper Kira. Alors crever à cause de quatre misérables mecs frustrés, ç'aurait été con, même moi qui étais pacifiste, j'étais capable de le comprendre.

    Bref. Nous étions donc tous les deux dans sa chambre, tandis qu'un CD de Green Day passait en musique de fond, quand soudain, je me souvins du jour actuel.

    – Au fait, Mello… Joyeux anniversaire, dis-je avec un petit sourire.

    – Tu penses que j'en ai quelque chose à foutre, de ce genre de conneries ?

    – Mello…

    – Bon, d'accord, d'accord, merci ! Allez, file-moi une tablette de chocolat et je considérerai ça comme un cadeau, merci pour ta gentille intention, mais pour moi, c'est un jour comme les autres alors--

    – Tu penses vraiment que tu vas t'en tirer comme ça ? Il n'est même pas question que je t'offres juste une putain de tablette de chocolat. Tu sais pas d'où je viens. Pour moi, c'est criminel de faire un seul cadeau, surtout si c'est juste de la bouffe. Mello, réveille-toi, on est le 13 décembre ! STAR WARS SORT AUJOURD'HUI !

    Son expression changea légèrement, et il parut soudain beaucoup plus intéressé par ce que je racontais. Je lui expliquai alors que j'avais acheté les billets il y a quelques jours, et encore à l'époque, j'avais oublié que la sortie du dernier opus de notre saga préférée à tous les deux coïncidait avec le jour de son anniversaire. (Résultat, j'avais encore un cadeau pour lui au cas où, mais je le gardais pour plus tard.) Pour moi, c'était clair : on ne pouvait pas se permettre de rater le film de l'année comme ça, surtout pas nous qui étions fans.

    – Quelle heure ?

    – On a précisément une heure pour nous préparer et arriver dans la salle, alors prépare-toi ! lançai-je avec un petit sourire.

    Mello ne se fit pas prier. En deux temps trois mouvements, il avait revêtu sa tenue la plus discrète (c'est à dire un pantalon en cuir noir, une veste en cuir, le manteau noir que je lui avais donné et des bottes tout droit sorties de chez Demonia, avec une paire de grosses lunettes noires pour qu'on ne voit pas son visage… Et le fait qu'il allait pleurer, aussi. Discret, je vous dit.) D'un autre côté, je ne peux pas critiquer, car j'étais habillée dans le même style que lui. Sans compter que même si j'allais me mettre des lunettes et pleurer comme un bébé, je m'étais sentie obligée de mettre sur mes yeux une tonne d'eyeliner. Bonne idée du siècle.

    – Comment on va y aller, au fait ? demandai-je.

    – En moto, évidemment.

    – Tu sais conduire une moto, toi ?

    – Évidemment. Pour quel genre de débile tu me prends, vraiment ?

    Je souris et montai derrière lui. Nous arrivâmes au cinéma avec un bon quart d'heures d'avance, et courûmes aussitôt vers le fond de la salle, priant pour réussir à choper de bonnes places malgré la foule. Nous réussîmes finalement à avoir les places auxquelles nous aspirions sans avoir à trancher la moindre gorge… Je déconne pas, Mello avait vraiment des envies de meurtre que j'avais du calmer comme je pouvais. Je mis un paquet de pop-corn entre nos deux sièges tandis qu'il continuait de croquer dans son chocolat.

    – Ça te dérange si je te prends la main ? Star Wars, c'est le meilleur truc pour me faire chialer, reconnus-je.

    – Ah, euh… Pas de problème, vas-y.

    Je me saisis alors de la main de Mello, recouverte par un gant en cuir noir. Quelques temps plus tard, le film finit enfin par commencer, et à peine le célèbre thème principal de la saga commença de jouer dans la salle, je sentis des larmes couler sur mes joues et massacrer mon beau maquillage emo dont personne à part Mello n'allait profiter, de toutes façons. À la manière dont Mello soufflait et me serrait la main, je compris que je n'étais pas la seule à devenir émotive devant un nouveau Star Wars. À quelques reprises pendant le film, je lui caressai la main, jetai des petits regards vers lui, et rit et pleurai avec lui.

    En sortant du film, j'étais intarissable. Je n'arrêtais pas de répéter à quel point c'était le meilleur film de la saga (chose que je faisais absolument à chaque fois, mais bon) tout en hurlant à la lune que merde, Poe était le meilleur personnage jamais créé dans l'histoire de Star Wars, alors fuck les connards qui préfèrent la trilogie originale. Mello acquiesçait silencieusement, et je remarquai qu'il essayait de ne pas renifler, de faire genre « je vois pas de quoi tu parles, j'ai pas pleuré ». Trop mignon, si vous voulez mon avis. Il enfourcha de nouveau sa moto, moi derrière lui, et il démarra. Sur le trajet du retour, nous parlâmes encore de Star Wars, et Mello ne put s'empêcher de dire à quel point il se sentait plus proche du côté obscur que du côté lumineux, que Yoda était un connard qui avait mal géré Anakin, que Kylo Ren n'est pas si mal que ça, en plus d'avoir un sabre badass, et que la passion, ça n'a rien de mauvais. Je me surpris alors à lui raconter une fois où un gamin que j'avais du aider en cours de soutien (le même que celui de l'histoire de Nana Dubouchon par Émile de Zola) avait du faire un devoir en philo sur « Les passions, moteur de l'humanité ». Un truc bateau avec du Kant, et tout ça. Oh, et son devoir était très bien… Sauf que ce crétin fini avait fait un devoir sur « Les poissons, moteur de l'humanité ». Et parlé de Gollum. Lorsque j'eus fini mon récit, Mello éclata de rire.

    Bref.

    Lorsque nous arrivâmes dans notre planque, les autres n'étaient visiblement toujours pas rentrés.

    – Cette bande d'incapables… Nous, on aurait déjà fini depuis des heures… C'est quoi ce regard ? Tu vas me dire de pas penser à de la merde comme ça aujourd'hui, c'est ça ? T'es une vraie fille, franchement. Enfin viens, on retourne dans ma chambre.

    Une fois rentré, il retira ses lunettes, et en effet, un bon nombre de larmes avaient coulé en deux heures et demie. Nous discutâmes pendant un petit moment des meilleures scènes du film, de nos ressentis quant aux personnages et tout le reste, et au bout d'une grosse demi-heure, Mello finit par reconnaître qu'il avait passé une superbe journée. Je souris, avant de lui annoncer que ladite journée n'était pas encore terminée.

    Je lui tendis avec une certaine gêne un petit paquet que j'avais emballé des semaines auparavant. Il commença alors à le déballer, et en sortit rapidement un petit écrin comprenant le logo officiel d'Undertale. Il me regarda d'un œil suspect un quart de seconde, puis ouvrit le coffret en souriant, et en ressortit le médaillon vendu avec l'édition collector du jeu. Le médaillon qui liait Asriel et Chara, les deux meilleurs amis. Un truc dont le niveau de mignonnerie était à peu près au même niveau qu'un chaton. Pas vraiment le genre d'objet qui représentait bien notre relation, mais bon.

    – Me juge pas, s'il te plaît, dis-je en rougissant. J'avais pas d'idées et, euh, je… Bah, j'ai vu que t'aimais bien Undertale, du coup je…

    – Franchement, commença-t-il tout en se mettant le collier autour du cou, c'est ce que tu pouvais faire de mieux. Entre ça et le film… J'aurais pas pu rêver mieux. Merci.

    – Tu plaisantes ? C'est juste des trucs qui montrent quelle geek irrécupérable je suis…

    – Et justement, c'est ce que j'aime chez toi, entre autre. Le fait que t'es une geek irrécupérable. Et je te le répète, ça me fait vraiment plaisir. Enfin, n'importe quoi venant de toi me ferait plaisir, de toutes façons. Je tiens beaucoup à toi. T'es la personne qui me connaît le mieux. Et ça le prouve. T'as réussi à me cerner, là.

    Je souris, et instinctivement, je m'avançai vers lui.

    – Mello…

    Nos visages étaient à quelques centimètres l'un de l'autre. Puis, soudain, d'abord sans me rendre compte de ce que nous faisions, nous nous rapprochâmes encore un peu. Ce fut la première fois que mes lèvres entrèrent en contact avec celles de Mello. Je fermai les yeux tandis qu'un doux arrière-goût de chocolat envahissait mes lèvres. Ses bras vinrent envelopper mes épaules, et les miens firent de même de son côté. C'est drôle, quand on y pense. Pendant des années, j'avais critiqué les descriptions des fanfictions, dans lesquelles le protagoniste a l'impression que le temps s'arrête lorsqu'il ou elle embrasse l'élu(e) de son cœur… Pourtant, là, tout de suite, c'est le sentiment que j'éprouvais. La Terre aurait pu cesser de tourner, je ne m'en serais même pas rendu compte. Pour l'instant, tout ce qui comptait à mes yeux, c'était Mello. Je voulais juste que notre baiser ne prenne jamais fin. Parce qu'en ce moment, pour la première fois depuis un bon moment, j'avais le sentiment d'être complète. Comme si tous mes doutes s'étaient évanouis.

    Lorsque Mello finit par me lâcher, j'avais l'impression que seules quelques secondes s'étaient écoulées. J'avais complètement perdu ma notion du temps. Je rouvris les yeux et le regardai en souriant, les yeux un peu dans le vague.

    – Je t'aime, Mello. Joyeux anniversaire.

    Sentant que je commençais à rougir, je m'apprêtai à sortir pour retourner dans ma propre chambre et me flageller mentalement en me disant que j'étais complètement stupide, que j'avais laissé mes hormones me contrôler et que je venais peut-être de ruiner notre amitié à tout jamais, lorsque Mello se saisit de mon poignet. Je me retournai, rougissant encore plus.

    – Eden, tu sais… On m'a appris un truc pas trop con, à la Wammy. Je rends tous les coups qu'on me donne.

    Il m'attrapa par les épaules et déposa un nouveau baiser sur mes lèvres qui avaient toujours le goût du précédent. Il embrassait si bien que c'en était presque criminel. On aurait pu considérer ses baisers comme la pire de toutes les drogues, le genre de drogue dont on devient dépendant dès la première utilisation, dont aucune cure de désintox ne nous libère. C'était ce genre de sentiment que j'éprouvais chaque fois que nous nous embrassions. J'étais bien. Libre. Tout simplement heureuse.

    – Merci pour tout ce que t'as fait pour moi aujourd'hui, chuchota-t-il lorsqu'il décida de me lâcher.

    Je lui souris et sortis de sa chambre, complètement désorientée, mais aussi et surtout, plus heureuse que jamais.

    « Mello… Pour toi, je serais prête à tout. »


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